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SÉNANCOUR.

« C’est ainsi que dans tous les genres tout reste à recommencer sur la terre. »

Une partie de ces remarques a pu être imprimée déjà, mais on a ici la pensée au complet et dans toute sa sincérité.

Un dernier mot sur le seul acte public de la vie de Sénancour. — Dans le procès qui lui fut intenté au mois d’août 1827 à cause de son livre, le Résumé de l’Histoire des Traditions morales et religieuses, où l’avocat du roi, Levavasseur, croyait trouver à chaque phrase l’intention manifeste de détruire la croyance à la divinité de Jésus, M. de Sénancour, défendu par Me  Berville, voulut présenter lui-même au tribunal quelques explications. Il fit observer que nulle part dans son ouvrage on ne trouvait l’empreinte de la passion : « Je n’ai jamais, disait-il, attendu des temps de trouble aucun avantage personnel… Ce livre n’avait pas pour objet d’être orthodoxe, mais on y demande la tolérance en faveur des cultes, comme entre les cultes,… et je n’approuverais pas plus l’exigence, au nom de la philosophie, que l’intolérance sous le prétexte du dogme… En 1798, j’ai été arrêté dans le Jura, parce que je n’avais pu obtenir un passeport. Les gendarmes, qui venaient de saisir mon contrat de mariage, me conduisirent à Besançon, comme jeune prêtre déporté, mais rentré pour fanatiser les campagnes. Aujourd’hui, je serai l’apôtre de l’irréligion : ce sera avec autant de justesse… » — Condamné en police correctionnelle, le 14 août 1827, M. de Sénancour fut acquitté en appel devant la Cour royale de Paris, dans une audience présidée par le premier président Séguier (22 janvier 1828). Cet acquittement, qui ne manqua pas de solennité, fut une satisfaction donnée à l’opinion publique.