Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/145

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 quelquefois détaché en lambeaux du grave et du noble ; et l’on admire bien plutôt qu’il ait si souvent affaibli, méconnu, remplacé les beautés suprêmes qu’il avait sous la main. À prendre en effet la plus renommée de ses imitations, celle du Cantique d’Ézéchias, qu’y voit-on ?  Ici, la critique de détail est indispensable, et j’en demande pardon au lecteur. Rousseau dit :

J’ai vu mes tristes journées
Décliner vers leur penchant ;
Au midi de mes années
Je touchois à mon couchant.
La Mort déployant ses ailes
Couvroit d’ombres éternelles
La clarté dont je jouis,
Et dans cette nuit funeste
Je cherchois en vain le reste
De mes jours évanouis.

Grand Dieu, votre main réclame
Les dons que j’en ai reçus ;
Elle vient couper la trame
Des jours qu’elle m’a tissus :
Mon dernier soleil se lève,
Et votre souffle m’enlève
De la terre des vivants,
Comme la feuille séchée,
Qui, de sa tige arrachée,
Devient le jouet des vents.

Les quatre premiers vers de la première strophe sont bien, et les six derniers passables grâce à l’harmonie, quoiqu’un peu vides et chargés de mots ; mais il fallait tenir compte du verset si touchant d’Isaïe : « Hélas ! ai-je dit, je ne verrai donc plus le Seigneur, le Seigneur dans le séjour des vivants ! Je ne verrai plus les mortels qui habitent avec moi la terre ! » Ne plus voir les autres hommes, ses frères en douleurs, voilà ce qui afflige surtout le mourant. La seconde