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sa province. Nous donnerons ici au long son portrait tracé par Mme  du Deffand ; elle soupçonnait, mais elle ne marque pas assez profondément (car le monde ne sait pas tout) ce qui était le trait distinctif de son être, la sensibilité, la passion et surtout la tendre fidélité dont il se montra capable : ce sera à Mlle  Aïssé de compléter Mme  du Deffand sur ces points-là.

Portrait de M. le Chevalier d’Aydie par madame la marquise
du Deffand[1].

« L’esprit de M. le Chevalier d’Aydie est chaud, ferme et vigoureux ; tout en lui a la force et la vérité du sentiment. On dit de M. de Fontenelle qu’à la place du cœur il a un second cerveau ; on pourrait croire que la tête du Chevalier contient un second cœur. Il prouve la vérité de ce que dit Rousseau, que c’est dans notre cœur que notre esprit réside[2].

« Jamais les idées du Chevalier ne sont affaiblies, subtilisées ni refroidies par une vaine métaphysique. Tout est premier mouvement en lui : il se laisse aller à l’impression que lui font les sujets qu’il traite. Souvent il en devient plus affecté, à mesure qu’il parle ; souvent il est embarrassé au choix du mot le plus propre à rendre sa pensée, et l’effort qu’il fait alors donne plus de ressort et d’énergie à ses paroles. Il n’emprunte les idées ni les expressions de per-

  1. Grâce à une copie manuscrite qui provient des papiers mêmes du Chevalier, nous pouvons donner ce portrait, un peu différent de ce qu’il est dans la Correspondance de Mme  du Deffand ; on a fait subir à celui-ci, comme il arrive trop souvent, de prétendues petites corrections qui l’ont écourté.
  2. Dans le portrait tel qu’il a été imprimé en 1809, cette phrase sur Rousseau est supprimée, et l’on y a mis l’observation sur Fontenelle au passé : On a dit de M. de Fontenelle qu’il avait… Il résulte, au contraire, de notre version plus exacte et plus complète, que Fontenelle vivait encore quand Mme  du Deffand traçait ce portrait. Quant à Rousseau, il s’agit ici de Jean-Baptiste, qui a dit dans son Épître à M. de Breteuil :

    Votre cœur seul doit être votre guide :
    Ce n’est qu’en lui que notre esprit réside.