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Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/28

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lique ( comme l’un de nos meilleurs hellénistes, M. Rossignol, après Valckenaer, l’a récemment démontré), et l’on aura idée de l’allégresse singulière du propos ; tout cela bondit, tout cela chante. Il était bien vrai de dire que ce Lycidas ne voyage qu’avec les Muses : il sème la poésie au-devant de lui. Simichidas ou Théocrite répond. Dans sa réponse percent à la fois l’admiration sincère, l’émulation sans envie, une confiance modeste, ardente pourtant, et une espérance généreuse :

« Cher Lycidas, tout le monde te proclame de beaucoup le plus grand joueur de flûte entre les pasteurs et les moissonneurs ; ce qui m’échauffe grandement le cœur, et je me promets bien de me porter l’égal de toi. Nous allons de ce pas à une fête de Thalysies ; c’est chez des amis qui préparent un repas à l’auguste Cérès avec les prémices de leur opulence, car la Déesse a comblé leur grange d’une grasse mesure de froment. Mais allons, et puisque la route nous est commune et aussi l’aurore, bucolisons à l’envi ; peut-être nous ferons-nous plaisir l’un à l’autre. Car moi aussi je suis une bouche brûlante des Muses, et tous aussi me proclament chantre excellent ; mais moi je ne suis pas près de les croire. Non, par le ciel ! car, à mon sens, je n’en suis pas encore à vaincre ni le bon Asclépiade de Samos, ni Philétas, avec mes chants, et je me fais plutôt l’effet de la grenouille qui le dispute aux sauterelles. – Ainsi je parlais exprès ; et le chevrier reprit avec un doux sourire… »

Arrêtons-nous un moment à ces traits vivants de caractère ; nous savons dès l’enfance ces derniers vers par l’imitation heureuse de Virgile : Me quoque dieunt vatem pastores… ; ils nous frappent davantage ici comme se rapportant à la personne même de Théocrite et nous donnant jour dans ses pensées. Le jeune poëte est modeste, mais il ne l’est pas tant qu’il en a l’air ; il a tressailli de joie à cette rencontre de Lycidas, et il brûle de se mesurer avec lui. Pour l’y déci-