Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/76

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Et quant m’amye il vit tant florissant,
De grand despit rougist sa verte face,
En me disant : Tu cuydes qu’elle efface
A mon advis les fleurs qui de moy yssent ?
Je lui respond : Toutes tes fleurs périssent
Incontinant que yver les vient toucher ;
Mais en tout temps de ma Dame florissent
Les grans vertuz, que mort ne peult sécher.

Le dizain du prince à certainement de quoi lutter en grâce avec celui de Marot ; on ne peut toutefois s’empêcher de remarquer que, dans le Recueil, l’un est bien voisin de l’autre ; et, en général, quand on trouve réunis un certain nombre de morceaux qu’il faut rapporter à Saint-Gelais ou à Marot, c’est presque toujours aux environs de ces endroits-là que se rencontrent aussi les petites pièces du roi qui peuvent passer pour les meilleures. On n’est jamais sûr que la ligne de démarcation tombe exactement, et qu’il ne se soit pas introduit quelque confusion sur ces points limitrophes : Lucanus an Appulus anceps[1].

Pour ce qui est du joli dizain de l’Aurore en particulier, il paraîtra piquant d’avoir encore à le rapprocher d’une épigramme de Q. Lutatius Catulus, que rapporte Cicéron dans le traité de la Nature des Dieux. C’est une épigramme tout à fait à la grecque, mais la similitude de l’image reste frappante :

Constiteram exorientem Auroram forte salutans,
CoQuum subito a lœva Roscius exoritur.
Pace mihi liceat, Cœlestes, dicere vestra,
CoMortalis visus pulchrior esse deo.

Rien de plus naturel à supposer qu’une rencontre d’idées en semblable veine : ce qui ne laisse pas ici de donner à
  1. Ainsi l’éditeur a soin d’indiquer que les pièces de la page 96 sont de Saint-Gelais : mais, en y regardant bien, il se trouve que le huitain : Cessez, mes yeulx, etc., de la page 94, est également de l’aumônier-poëte.