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Roses elles-mêmes, cette délicieuse idylle qu’il nous a léguée, lui, le dernier des anciens :

Ambigeres, raperetne rosis Aurora ruborem,
An darel, et flores tingeret orta dies.

Le vieux rimeur n’a pas indiqué son larcin, il l’a même recouvert assez ingénument quand il traduit le

Vidi Pœstano gaudere rosaria cultu,

par

....... Là veis semblablement
Un beau laurier accoustré noblement
Par art subtil, non vulgaire ou commun,
Et le rosier de maistre Jean de Meun.

Les rosiers de Paestum traduits par celui de Jean de Meun, c’est ce qu’on peut appeler greffer la fleur antique sur la tige gauloise. La Fontaine usait heureusement de ce procédé-là.

Les derniers vers de la pièce ont été cités une fois par M. Nodier[1], qui s’est complu a y voir un caractère original ; ils rappellent naturellement ceux de Ronsard : Mignonne, allons voir si la rose... L’un et l’autre poëte avaient chance de se rencontrer, puisqu’ils avaient en mémoire le même modèle. Bonaventure des Periers, après avoir décrit, mais bien moins distinctement qu’Ausone, les vicissitudes rapides de chaque âge des roses, conclut comme lui :

....... Vous donc, jeunes fillettes,
Cueillez bien tost les roses vermeillettes
A la rosée, ains que le temps les vienne
A deseicher : et tandis vous souvienne
Que ceste vie, à la mort exposée,
Se passe ainsi que roses ou rosée.

Collige, virgo, rosas, dum flos novus et nova pubes,
  Et memor esto aevum sic properare tuum.

  1. Article sur Bonaventure des Periers (Revue des Deux Mondes1er novembre 1839).