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La rosée ajoutée aux roses par le vieux poëte français est une grâce de plus, que la rime seule peut-être lui a suggérée. Bonaventure des Periers était moins heureux tout à côté, lorsque, essayant de traduire en vers blancs la première satire d’Horace : Qui fit, Mœcenas..., il disait, en la dédiant à son ami Pierre de Bourg : « D’où vient cela, mon amy Pierre, que jamais nul ne se contente de son estat ? » L’imitation de l’antique, au xvie siècle, ne saurait durer bien longtemps sans détonner ; et, bon gré mal gré, on se reprend à dire avec Voltaire : « Nous ne sommes que des violons de village auprès des anciens. »

Revenons à nos poésies. La protectrice de Bonaventure des Periers, la reine de Navarre, y tient une grande place. A tout instant elle adresse épîtres ou rondeaux à son frère, et celui-ci lui répond. Le talent de l’illustre sœur est incomparablement d’un autre ordre que celui du roi, et, chaque fois que c’est elle qui prend la plume, le lecteur le sent à la fermeté du ton et à une certaine élévation de pensée. Il ne faut pourtant pas s’attendre, même de sa part, à une délicatesse de goût qui n’existait pas alors, ni à une longue suite de bons vers, tels qu’il n’était donné d’en produire, à cette date, qu’à la seule veine fluide de Marot. Écrivant au roi pendant une grossesse, Marguerite débutera en ces mots :

Le gros ventre trop pesant et massif
Ne veult souffrir au vray le cueur naïf
Vous obeyr, complaire et satisfaire…

Dans les désastres et les rudes épreuves qu’eut à supporter son frère, elle le comparera tantôt à Énéas et tantôt à Jésus-Christ, de même qu’elle s’écriera, cri parlant de Madame d’Angoulême, leur mère, qui est restée courageusement au timon de l’État :

A-t-elle eu peur de mal, de mort, de guerre,
Comme Anchises qui délaissa sa terre ?