Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/85

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Elle se dira elle-même aussi infortunée que Créuse dans l’incendie troyen, puisqu’elle s’est trouvée impuissante à suivre et à servir ceux qu’elle aime. D’heureux vers rachètent ces associations bizarres et ces images tirées de si loin. Toujours c’est aux meilleurs et aux plus généreux sentiments de son frère qu’elle s’adresse ; c’est le culte de l’honneur qu’elle échauffe et qu’elle entretient en lui :

Mais toy, qui as toujours foy conservée
Et envers tous ta constance observée,
Rendant content Dieu et ta conscience
Par ta vertu, doulceur, foy, pacience,
Tenant à tous parole et vérité,
Honneur tu as, non ennuy mérité.

Elle le loue de sa clémence envers les révoltés de La Rochelle ; elle l’admire avec exaltation surtout pour sa loyale conduite et ses chevaleresques représailles envers Charles-Quint, son grand ennemi, lorsqu’il le fêta si royalement durant ce hasardeux passage à travers la France :

L’Ytalien à grand peine l’a creu,
Car la bonté, qui de Dieu est venue,
De l’infidelle est tousjours incongnue.
Celluy qui est de la foy devestu
Ne peult louer en aultre sa vertu.
Or, dites-moi, qu’esse que Dieu demande ?
Qu’esse que tant il loue et recommande ?
C’est rendre bien pour mal, voire et aymer
Son ennemy : qui est le plus amer
Et dur morceau qui soit en l’Escripture,
D’autant qu’il est contre nostre nature.
Le Roy l’a faict, et si l’a accomply :
Ce dont le cueur, s’il n’est de Dieu remply,
Plustost mourroit que de s’y accorder.
Je me tairay du surplus recorder.
Qui faict le plus, il fera bien le moings :
Son cueur est pur et nettes sont ses mains.

François Ier répondait d’avance à ces dignes éloges,