Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/100

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odeur de Sainte-Cène qui s’exhalait, et les grâces en commun de la fin, tout cela me rafraîchissait un peu d’abord et dissipait le plus épais de mon sang à mes joues et dans mes yeux.Pourtant aucune crainte salutaire ne renaissait en moi ; les sources sacrées ne se rouvraient plus. Il me restait au fond une sécheresse coupable, un souvenir inassouvi que j’entretenais tout le soir, jusque sous le regard chaste et clément. Le reflet de cette lampe modeste, qui n’aurait dû luire que sur un cœur voilé de scrupules, tombait, sans le savoir, en des régions profanées.

Un matin par une légère et blanche gelée de décembre, nous étions au Jardin des Plantes, madame de Couaën et moi avec les enfants que l’idée de la ménagerie poursuivait jusque dans leurs songes. Après bien des allées et des détours, assis sur un banc, tandis qu’ils couraient devant nous, nous jouissions de cette beauté des premiers frimas, de la clarté frissonnante du ciel et de l’allégresse involontaire qu’elle inspire :

« Ainsi, disais-je, ainsi sans doute dans la vie, quand tout est dépouillé en nous, quand nous descendons les avenues sans feuillage, il est de ces jours où les cœurs rajeunis étincellent comme au printemps : les premiers tintements de l’âge glacé nous arrivent dans un angélus presque joyeux. Est-ce illusion décevante ; un écho perdu de la jeunesse sur cette pente qui mène à la mort ? Est-ce annonce et promesse d’un séjour d’au-delà ? ”- “ C’est promesse assurément, ” disait-elle. - “ Oui, reprenais-je, c’est quelque appel lointain, une excitation affectueuse de se hâter et d’avoir confiance à l’entrée des jours ténébreux, de ces jours dont il est dit non placent. ” Et je lui expliquais, dans toute la tristesse que j’y supposais, ce non placent. Mais auprès de nous, sur le même banc, deux personnes, deux femmes d’un âge et d’une apparence assez respectables s’entretenaient, et, comme le mot de machine infernale