Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/125

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

rien dans la nature environnante ni dans l'air du ciel n'expliquait ; ce n'était jamais un courroux, C'était un frémissement intérieur et une plainte. Les deux jolis ruisseaux s'arrêtaient alors et rebroussaient de cours ; le lac les retirait à lui comme avec un effroi de tendre mère.

Et puis ces mêmes vagues retombées subitement et calmées, redevenaient un paresseux miroir ouvert aux étoiles, à la lune et à la splendeur des nuits. D'autres fois un brouillard non moins inexplicable que le frémissement de tout à l'heure couvrait le milieu du lac par un ciel serein ; ou bien on aurait dit, spectacle étrange ! que ce milieu réfléchissait plus d'étoiles et de clartés que ne lui en offrait le dais céleste. Et aussi les bords les plus riants vers les endroits opposés au rocher, les saules et les accidents touffus des rives cessaient à certains moments de se mirer en cette eau, qui était frappée comme de magique oubli ; l'oiseau qui passait à la surface, en l'effleurant presque de l'aile, n'y jetait point son image ; et moi, il me semblait souvent, avec un découragement mortel et une sorte d'abandon superstitieux, que je glissais sur une onde qui ne s'en apercevait pas qui ne me réfléchissait pas !

Mais pour rentrer, mon ami, dans le réel des choses, voici comment nous vivions : je m'étais logé tout à côté du petit couvent ; j'y allais régulièrement vers midi, c'est-à-dire à l'issue du dîner matinal qu'on y faisait. Pluie, neige ou bise, la plupart du temps à pied nous nous rendions ensemble, madame de Couaën et moi, à la prison : les enfants nous accompagnaient les jours de soleil. Nous étions de retour à trois heures, et, après quelque conversation encore, je la quittais d'ordinaire, ne devant plus reparaître qu'à sept heures vers la fin du souper, à moins que je ne soupasse moi-même au couvent, ce qui m'arrivait bien deux fois la semaine. Madame de Cursy et quelques-unes des religieuses nous