Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/131

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

le petit jardin au nord tout dépouillé par l'hiver, et que celle dont je me faisais ce rêve était une épouse et une mère, je souriais de moi. Et si je la saluais alors soit que j'entrasse ou que je sortisse, et que ce fût un bonjour ou un adieu, le bonjour ou l'adieu, monsieur, qui lui échappait d'une voix machinale, me glaçait, comme ayant osé prétendre à un trop étroit partage ; ce mot si étranger et si négligent m'allait au cœur, et je ressentais une soudaine défaillance, comme si la rame me tombait des mains en voyant que le lac ne me réfléchissait pas. Mais il y avait bien d'autres moments plus précis et mieux éclairés où elle semblait, au contraire, se souvenir de moi ; elle me comptait, elle me nommait expressément dans tous ses projets ; elle me faisait rasseoir plus d'une fois avant mon départ, et elle me disait après de longues heures, quand je me levais : " Vous êtes toujours pressé de me quitter. ” Un jour, légèrement indisposé de la veille, et ayant plus tardé ce matin-là que d'ordinaire à l'aller trouver pour notre visite à la prison comme il faisait beau, elle me vint prendre elle-même. On frappa à ma porte : C'était sa bonne avec son fils qu'elle envoyait d'en bas savoir si elle pouvait monter. Je courus à mon petit escalier pour la recevoir.

Elle entra un moment, fit le tour de cette simple chambre, en loua la propreté, l'air d'étude, la discrète lumière ; elle s'assit une seconde dans mon unique fauteuil ; - et ces lieux furent pour moi consacrés.

Puérilités ! minutieuse idolâtrie ! soupirs ! troublantes images qui me reviennent malgré moi, qui se pressent autour de ma plume quand j'écris, comme la foule des Ombres dans le poète, autour du rocher qui les passe  !

Fleurs trop légères trop odorantes qui pleuvent au dépourvu sur ma tête peu sage, le long de ces sentiers d'autrefois, où je ne comptais trouver entre les cyprès que des avertissements dans la poussière et quelques