Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/141

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de l'homme, je l'éprouvais intimement alors, consiste surtout dans le pouvoir qu'il a de se mettre ou de ne se mettre pas sous la prise des objets et à portée de leur tourbillon, suivant qu'il y est trop ou trop peu sensible. Vous vous trouvez tiède et froid pour la charité, courez aux lieux où sont les pauvres !

Vous vous savez vulnérable et fragile, évitez tout coin périlleux !

J'appris que la volupté est la transition, l'initiation dans les caractères sincères et tendres à des vices et à d'autres passions basses que de prime abord ils n'auraient jamais soupçonnées. Elle m'a fait concevoir l'ivrognerie, la gourmandise : car, le soir de certains jours harassé et non assouvi, moi sobre d'ordinaire, j'entrais en des cafés et demandais quelque liqueur forte que je buvais avec flamme.

J'appris que pour l'homme chaque matin est une réparation et chaque jour une ruine continuelle ; mais la réparation devient de moins en moins suffisante, et la ruine va croissant.

J'entendis profondément et je rompis jusqu'à la moelle ce mot des textes sacrés : Ne dederis mulieribus substantiam tuam ; ne jetez pas à toutes les sauterelles du désert vos fruits et vos fleurs, votre vertu et votre génie, votre foi, votre volonté, le plus cher de votre substance !

Et cet autre mot d'un Ancien, que j'avais lu d'abord sans y prendre garde, me revenait vivement : J'ai tué en moi la bête féroce ?. Oui, la bête féroce est en nous ; elle triomphe durant cette première et méchante jeunesse ; elle dévore à chacun les entrailles, comme le renard sauvage rongeait sous la robe l'enfant lacédémonien.

J'appris que, si la volupté et les excès qu'elle entraîne produisent d'ordinaire l'humiliation, son absence appelle aisément l'orgueil. Rapport inverse en effet, singulier équilibre de ces deux vices capitaux en nous du vice extérieur, actif, ambitieux, glorieux et