Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/142

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bruyant, et du vice mou, caché, oisif et furtif, savoureux et mystérieux ! Avez-vous jamais remarqué ce jeu double, mon ami ? quand la volupté diminue en moi et que je viens à bout de la repousser, l'orgueil, la satisfaction joyeuse et fière monte d'autant ; mais sitôt que l'autre reprend le dessus, il y a prostration graduelle, abandon et mépris de moi-même.

Chez tout homme, l'un des deux vices a chance de dominer, mais non pas à l'exclusion entière de l'autre, quoiqu'il y ait certains cas extrêmes et monstrueux où un seul des deux emplit l'âme. Ce sont comme deux pôles aux dernières limites de la terre habitable ; la majorité des hommes flotte dans l'intervalle et incline plus ou moins ici ou là. L'âme qui se fixerait à demeure dans l'une ou dans l'autre extrémité, serait atteinte de mort morale et deviendrait sur ce point comme stupide. Le pôle de l'orgueil est le plus habité de nos jours : j'ai connu plusieurs Nabuchodonosors. On a même essayé de ramener la volupté à l'autre passion envahissante, et de les grouper ensemble dans un chimérique hymen : Don Juan, idole menteuse, appartient à un siècle où il y a bien plus d'orgueil que d'amour du plaisir. Mais en laissant là toute vanterie et tout faste, en s'en tenant à ce qu'on a senti, il est constant que ces deux vices se lient d'ordinaire par un mouvement inverse et alternatif. Au moment de l'extrême volupté et de l'abaissement où elle nous plonge, l'orgueil est bien loin, son écueil altier a disparu ; alors on s'écrie :

« Oh ! si je n'étais pas voluptueux ! ” croyant n'avoir que ce vice à combattre. Mais si vous combattez un peu, si vous avez l'air de vaincre, voilà que la satisfaction s'introduit, l'enflure du cœur commence ; la fierté jalouse, le désir de louange et d'éclat parmi les hommes vous chatouille et devient l'ennemi pressant. Ne vous applaudissez pourtant pas alors ; ne dites point : “ Oh ! je n'ai plus que ce vice-là ! ” Car, que vienne à passer une femme dont vous n'aperceviez