Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/161

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et un couvent l'y avait reçu. C'est de ce couvent qu'une première lettre, écrite par lui à sa sœur et arrivée à Jersey, avait été portée à Couaën parmi d'autres papiers adressés au marquis. Celui-ci l'avait décachetée, la croyant de sa propre correspondance, et l'enveloppe en ayant été brûlée aussitôt, comme c'était l'usage, il avait fallu attendre pour savoir où l'envoyer.

Lors de l'arrestation, l'original de la lettre avait été saisi.

M. D..., touché de ce qu'elle contenait, promit de la faire parvenir à la sœur, et M. de Couaën obtint d'en transcrire quelques passages, comme je l'ai plus tard obtenu de lui. Je veux, mon ami, vous en citer un :

« Insensé ! écrivait Limoëlan, j'ai été contre le dessein suprême que j'osais prétendre servir. Cet homme m'est véritablement inviolable, et joint du Seigneur. Au moment même où je guettais sa venue, à ce coin fatal, j'ai prié pour lui, je t'ai prié de le sauver contre nous, à Seigneur, s'il était nécessaire à ton peuple. Je n'aurai jamais assez de soupirs et de veilles pour te prier sur lui encore... Et pourtant cet homme m'était haïssable, et je l'avais jugé le plus grand obstacle à tes desseins. La nuit, dans mes songes ou dans les désirs que tu semblais m'envoyer par tes anges, cette pensée de l'écraser me revenait sans relâche ; je m'étais condamné à tout pour cela ; je m'étais ceint de corde, et j'avais jeûné longuement pour mériter d'être le plus vil instrument de tes œuvres. J'ai revêtu la blouse, j'ai ramassé les pierres dans la boue, j'ai conduit une charrette infâme, comme le valet du bourreau. Et puis, l'heure venue, j'ai remis l'honneur de la consommation à un autre, et j'ai guetté derrière une borne comme un espion.

— Erreur ! débilité humaine ! voilà que j'ai été contre Dieu et contre mes frères innocents ! je passerai ce reste de jours à laver