Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/162

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de mes pleurs, à user de mon front le pavé et à mourir ! - ... Toi seule, à ma sœur, qui m'aimes encore et qui t'attendris sur moi, tu seras mon dernier lien avec les vivants ; nul, excepté toi, ne me saura respirant sous ma pénitence. Car je suis réellement mort au monde et perclus dans mes membres à ma sœur, avec tous ces hommes innocents que j'ai frappés de stupeur, de surdité et de mort.

Pauvres âmes dont je réponds et que j'ai lancées à l'improviste devant Dieu ! Souvent, dans ma cellule de novice, afin de m'exercer comme au jour du crime, je me tiens de longues demi-heures en la même posture où j'étais au coin de cette rue de Malte, le cou tendu en avant, le corps plié, penché et sans appui, ne touchant le mur qu'avec un doigt pour ne pas tomber ; jusqu'à ce que bientôt je sois devenu sourd et aveugle comme ceux que j'ai assourdis et aveuglés, engourdi comme ceux que j'ai paralysés, sans idée ni conscience de rien comme ceux dont j'ai ébranlé l'intelligence. Je me change moi-même en statue de sel par châtiment... Le sommeil m'a fui ; mais si, vers le matin, il m'arrive de succomber quelques minutes, je m'éveille toujours en sursaut par une explosion déchirante. ”

« Voilà un saint, me dit le marquis, lorsque j'eus achevé ma lecture ; voilà un martyr ! Georges, lui, est un héros, mais moi, Amaury, que suis-je donc ? Georges aventureux, déterminé, portera brillamment, s'il le faut, cette tête ronde et bouclée sous la hache, ou tombera sous la foudre, dans la mêlée ; Limoëlan, meurtri, se répare, se guérit à sa manière dans son cilice. Mais moi, que fais-je ? ai-je une route, une issue possible à mon destin ; qu'est-ce que j'expie, ou qu'est-ce que je tente ; ai-je la Croix, ai-je l'épée ? - Savez-vous, Amaury, comment pour nous tout ce pompeux naufrage va finir ? Quelque grasse ville de la Touraine ou