Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/163

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du Maine me sera assignée pour port avec une métairie et une basse-cour. Clémence du sort ! ce serait même trop désormais que mon rocher de Couaën, où je blanchissais à compter les vagues et à aspirer la tempête. ” Le marquis disait juste, il devinait l'issue probable ; M. D...

M'avait déjà fait espérer cela. Quant à cette comparaison par laquelle il s'effaçait à plaisir devant Limoëlan et Georges, j'accordais qu'il différait notablement de l'un et de l'autre : mais c'est qu'il avait bien autrement de pensée que tous deux. Le seul rôle que réclamait sa nature était entier et complexe ; je le classais génie inoccupé, dans la race des ambitieux politiques les plus nobles et les plus ardents.

Comme je tâchais de lui faire sentir par des exemples le jugement qui m'affectait à son sujet, de relever son deuil et d'honorer à ses yeux une plaie si rare ; comme je parlais abondamment, ému des précédentes circonstances, et que, lui, se taisait pourtant et ne répondait pas plus que s'il avait cessé de suivre l'entretien, je m'exaltai, tout en marchant, jusqu'à m'écrier : " Sur cette bruyère de Couaën que vous craignez de ne pas bientôt revoir, en face de cette plage sans port, et sans navires, sur ce théâtre d'une religion abolie, j'irai, et je m'arrêterai devant quelque pierre informe du temps des Druides ; je la consacrerai en méditant alentour, et je prononcerai dessus ces mots : Aux grands hommes inconnus !

« Oh ! oui, continuais-je (ou du moins c'était bien le sens), oui, aux grands hommes qui n'ont pas brillé, aux amants qui n'ont pas aimé ! à cette élite infinie que ne visitèrent jamais l'occasion, le bonheur ou la gloire ; aux fleurs des bruyères ; aux perles du fond des mers ! à ce que savent d'odeurs inconnues les brises qui passent ! à ce que savent de pensées et de pleurs les chevets des hommes !

« Tout ce qu'il y a de grands hommes çà et là étouffés