Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/164

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

me semble composer, n'est-ce pas vrai ? un chœur mystérieux, muet dans son nuage, avare de ses soupirs ; c'est un autre Panthéon funèbre, je l'entrevois d'aujourd'hui, un limbe inénarrable qu'habitent ces grandes et méritantes âmes des mortels inconnus. Vous m'y introduirez souvent, à Vous que je vénère ! Je croirai apprendre en ces catacombes immenses la profondeur et la misère humaine, bien mieux que sous l'étroite voûte de leur Panthéon resplendissant. ” Et dans ce jaillissement d'idées que favorisait son silence, j'ajoutais encore : “ Il n'y a point de Panthéon ici-bas ; il n'y a de vrai Capitole pour aucun mortel : tout triomphe en ce monde, même pour les fronts rayonnants, n'est jamais je m'imagine, qu'une défaite plus ou moins déguisée. Mettez à part deux ou trois hommes une fois trouvés en chaque genre, deux ou trois existences quasi fabuleuses qui, dans leur plénitude, sont plutôt pour l'humanité des allégories abrégées et des manières d'exprimer ses rêves, - hors de là, dans la réalité, les rêves, les projets, les espérances me font l'effet de ressembler, chez tous à un gros de troupes fraîches, qui doit passer, dès le matin un long défilé montueux, entre deux rangs d'archers embusqués, invisibles, inévitables. Si, avant le soir, le chef de la troupe et quelque bataillon écharpé arrivent à la ville prochaine avec une apparence de drapeau, on appelle cela un triomphe. Si, dans nos projets, dans nos ambitions, dans nos amours, quelque partie a moins souffert que le reste, on appelle cela de la gloire ou du bonheur. Mais combien de désirs, de vœux, d'ornements secrets, et des plus beaux, ont dû rester en chemin, que nul n'a sus ! Oh ! pour qui se rend justice à lui-même, pour qui lit en son cœur après le triomphe comme avant, pour Dieu qui voit le fond et qui compte les morts en nous, s'il n'est que vrai, j'en suis sûr, de dire :