Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/212

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vagues, quelques soupirs familiers attestent la présence, à l'entour, des parents chers et trop tût perdus ! Ces cinq ou six religieuses, dont les noms et les visages se confondent pour moi, C'est comme un chœur voilé des bonnes âmes qu'on a rencontrées en son chemin. Ne voilà-t-il pas, mon ami, toute une vie évoquée et peinte ? N'auriez-vous donc pas aussi dans le souvenir quelque banquet obscurément solennel, quelque cadre ineffaçable où se tiennent rassemblés les êtres principaux de votre jeunesse ? Qui n'a pas eu la Pâques juive du pèlerinage ? qui n'a pas eu, quelque soir, un reflet du souper d'Emmaüs ? ?

L'entretien se prolongeait, et peut-être mon rêve, lorsqu'on annonça que l'officier de police chargé d'accompagner M. de Couaën à la Conciergerie venait d'arriver.

Nous nous levâmes à l'instant, et ce ne fut plus que préparatifs et confusion d'adieux. Le marquis et son surveillant montèrent bientôt dans une voiture ; madame de Couaën, les enfants madame R. et moi, nous suivîmes dans une autre. Descendus à la cour de la Conciergerie, nous y trouvâmes la chaise tout attelée. Il était nuit close, les lanternes éclairaient tristement notre attente. Le lieutenant de gendarmerie désigné pour le voyage étant enfin apparu, il y eut plus qu'à s'embrasser et à s'envoyer de courtes paroles d'espérance : " A bientôt, dans trois semaines ! ” m'écriai-je en agitant une dernière fois la main. Et je m'éloignai à pas lents donnant le bras à madame R., que je reconduisis jusqu'à sa porte, - tous les deux remplis de ce départ, et sans dire mot d'autre chose.

Ma jeunesse n'est point à son terme ; elle ne fait, ce semble, que commencer aux yeux du monde ; on la croirait fertile en promesses, tournant le front aux futures jouissances : et pourtant, mon ami, le plus beau de sa course est achevé dès à présent ; le plus regrettable