Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/213

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s'en est allé.

Arrêtons-nous un instant pour pleurer sur elle comme si elle était morte, car elle a reçu la blessure dont plus tard elle mourra. Je puis répéter aujourd'hui avec le grand Saint pénitent : Et voilà que mon enfance est morte. et je vis.

Et voilà que mon adolescence et la plus belle portion de ma jeunesse sont mortes, et je vis. Les âges que nous vivons sont comme des amis tendres, et d'abord indispensables, qui ne se distinguent en rien de nous-même. Nous les aimons, nous habitons en eux ; ils ne font qu'un avec nous. Leur bras familier s'appuie à notre épaule ; leurs grâces nous décorent. Ils nous sont Euryale, et nous leur sommes Nisus. Mais une fois en pleine route, ces âges si charmants sont des amis bientôt lassés qui se détachent peu à peu, et que nous-même nous laissons derrière comme trop lents ou dont nous sépare, au passage, quelque torrent irrésistible. Ils expirent donc ces amis d'abord tant aimés ; ils tombent en chemin, plus jeunes que nous plus innocents et nous poursuivons le voyage avec des compagnons nouveaux, dans une carrière de moins en moins riante et simple. Mon enfance m'a connu si pur ! que dirait-elle en me voyant si intrigué, si capable de ruse, et par moments si sali ? Que dirait Euryale, s'il voyait son Nisus l'ayant oublié, parjure à la vertu, et s'énervant lâchement au sein d'une esclave ? Répétons-nous souvent : Oh ! que nos âges d'autrefois, ces jeunes amis morts, s'ils revenaient au monde, rougiraient de nous voir ainsi déchus !

Mon enfance est donc morte, elle est morte assez tard et, si je voulais vous marquer son dernier jour, ce serait probablement celui où, entrant à la Gastine, j'y cherchai pour la première fois avec trouble un doux visage. Ce seuil, si souvent foulé depuis, est comme la pierre sous laquelle dort enseveli le dernier jour de mon enfance. Ce qui restait d'elle dans mon adolescence commencée expira alors, et je devins un adolescent