Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

du sexe qui fussent de mon âge, ou desquelles mon âge pût être touché. J'eusse d'ailleurs été très sauvage à la rencontre, précisément à cause de mon naissant désir. La moindre allusion à ces sortes de matières dans le discours était pour moi un supplice et comme un trait personnel qui me déconcertait : je me troublais alors et devenais de mille couleurs. J'avais fini par être d'une telle susceptibilité sur ce point, que la crainte de perdre contenance, si la conversation venait à effleurer des sujets de mœurs et d'honnête volupté, m'obsédait perpétuellement et empoisonnait à l'avance pour moi les causeries du dîner et de la veillée. Une si excessive pudeur tenait déjà elle-même à une maladie : cette honte superstitieuse accusait quelque chose de répréhensible. Et en effet, si, devant l'univers je refoulais ces vagues et inquiétantes sources d'émotions jusqu'au troisième puits de mon âme, j'y revenais ensuite trop complaisamment en secret ; j'appliquais une oreille trop curieuse et trop charmée à leurs murmures.

De dix-sept à dix-huit ans, lorsque j'entamai un genre de vie un peu différent, que je me mis à cultiver davantage, et pour mon propre compte, plusieurs de nos voisins de campagne, et à faire des courses fréquentes des haltes de quelques jours à la ville, cette idée fixe, touchant le côté voluptueux des choses ne me quitta pas ; mais en devenant plus profonde, elle se matérialisa pour moi sous une forme bizarre, chimérique, tout à fait malicieuse, qui ne saurait s'exprimer en détail dans sa singularité. qu'il me suffise de vous dire que je m'avisai un jour de me soupçonner atteint d'une espèce de laideur qui devait rapidement s'accroître et me défigurer. Un désespoir glacé suivit cette prétendue découverte. J'affectais le mouvement, je souriais encore et composais mes attitudes, mais au fond je ne vivais plus. Je m'étonnais par moments que d'autres