Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/25

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n'eussent pas déjà saisi à ma face la même altération que j'y croyais sentir îles regards qu'on m'adressait me semblaient de jour en jour plus curieux ou légèrement railleurs. Parmi les jeunes gens de ma connaissance, j'étais sans cesse occupé de comparer au mien et d'envier les plus sots visages. Il y avait des semaines entières où je redoublais de déraison et où la crainte de n'être pas aimé à temps, de me voir retranché de toute volupté par une rapide laideur, ne me laissait pas de relâche. J'étais comme un homme au commencement d'un festin qui a reçu une lettre secrète par laquelle il apprend son déshonneur, et qui pourtant tient tête aux autres convives, prévoyant à chaque personne qui entre que la nouvelle va se répandre et le démasquer. Mais ce n'était là, mon ami, qu'un détour particulier, une ruse inattendue de la sirène née avec nous qui s'est glissée à l'origine et veut triompher en nos cœurs ce n'était qu'un moyen perfide de m'arracher brusquement aux simples images de l'idéale et continente beauté ; de m'amener plus vite à l'attrait sensuel en m'opposant la difformité en perspective. C'était une manière moins suspecte et toute saisissante de rajeunir l'éternelle flatterie qui nous pousse à nos penchants et de m'inculquer d'un air d'effroi, sans trop révolter mes principes ces langoureux conseils au fond toujours semblables de se hâter, de cueillir à son temps la première fleur, et d'employer dès ce soir même la grâce passagère de la vie.

L'unique résultat de cette folle préoccupation fut donc de me jeter à l'improviste bien loin du point où elle m'avait trouvé. Mon doux régime moral ne se rétablit pas ; mes habitudes saines s'altérèrent. Cette idée de femme, une fois évoquée à mes regards me demeura présente, envahit mon être et y rompit la trace des impressions antérieures. Ma religion se sentit pâlir. Je me disais que, pour le moment, l'essentiel était d'être homme,