Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/248

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et cet exemple ne furent pas sans influence sur moi, et m'enhardissaient près de madame R.

Mais je ne parvenais pas, quoi que je fisse, à affranchir ma pensée de l'exil de Blois. Tous les deux ou trois jours en revoyant au petit couvent madame de Cursy, quand je l'entendais, inquiète et bonne, m'entretenir, comme d'habitude, de la santé et des mérites de sa nièce, ne doutant pas que je ne fusse le même, quel reproche cruel ces confiantes paroles étaient à mon inconstance ! Chaque lettre qu'il me fallait leur écrire ou que je recevais d'eux, ou que madame R. aussi recevait parfois, remettait en mouvement cette corde fondamentale dont la plus faible vibration éteignait en moi tout le reste. Je leur parlais du procès de Georges, comme y assistant ; mais, ne pouvant en aucun cas exprimer par lettres mes libres sentiments à ce sujet, j'avais le droit d'être sommaire. Souvent, au milieu des démonstrations factices, il m'échappait, en écrivant, des signes d'affection en détresse et des appels bien sincères.

Cela m'arrivait surtout à la suite de cette comparaison inégale qui s'établissait malgré moi entre les deux âmes, et à l'idée des manques fréquents, et de ce je ne sais quoi de médiocrement profond et de frêle, que je découvrais déjà chez madame R. Combien de fois, revenant, le soir, des quartiers bruyants avec l'aimable ami, confident trop complice de mes détestables progrès, sur ce Pont-des-Arts, alors tout nouveau, où nous nous séparions, je m'écriai en lui désignant l'absente : " Ah ! C'est Elle, C'est Elle encore que j'aime le mieux, et qui saurait le mieux aimer ! ”