Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/249

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Il y a un Amour qui aime l'oubli, le silence, les bois, ou indifféremment un lieu solitaire quelconque, dans la présence, ou dans la pensée de l'être aimé. Que lui importent, à cet amour vrai, l'ignorance où l'on est de lui, les discours ou l'insouciance du monde, ses interprétations malignes, l'admiration du vulgaire ou les compassions fausses des égaux, les rivaux en gloire qui disent de l'amant qu'il s'alanguit et s'évapore, les rivales en beauté qui insinuent de l'amante qu'elle dépérit secrètement dans l'ennui et l'abandon ? Que lui importent les soirées tourbillonnantes du plaisir, les midis resplendissants au gré du clairon des victoires, les spectacles toujours renouvelés où s'égare la curiosité de l'esprit ou des yeux ? S'il est ignoré des autres, cet amour est compris et a sa couronne dans un cœur. S'il ignore le reste, il lit toute une science infaillible dans son abîme chéri. S'il se fixe durant des saisons sans bouger, devant un regard il y voit naître et passer des bois et des sources étincelantes et des paradis d'Asie. S'il fait un pas, s'il voyage, tout également s'enchante, mais parce qu'il voit tout à travers une même larme. Il ne m'a pas été donné de ressentir un tel amour, mon ami ; mais il m'a été donné d'en savoir plus d'un trait et d'y croire. Deux amants qui s'aiment de véritable amour, a écrit un être simple qui avait le génie du cœur, au milieu du monde et des choses qui ne sont pour eux qu'une surface mouvante et sans réalité, ressemblent à deux beaux adolescents aux épaules inclinées, les bras passés autour du cou l'un de l'autre, et regardant des images qu'ils suivent nonchalamment du doigt : ce ne sont pour eux que des images. Un tel amour existe, Dieu a permis qu'il s'en rencontrât çà