Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/250

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et là des exemples sur terre ; que quelques belles âmes en fussent atteintes, comme d'une foudre choisie qui éclate sur les temples par un temps serein. Il en est sorti de bien tendres et souvent douloureux prodiges. Car ces célestes amours ne tombent que pour remonter bientôt, au risque sans cela de se perdre et de s'altérer ; ils ne naissent qu'à condition de mourir vite et de tuer leurs victimes. Rémission soit faite par vous, Dieu du ciel, à vos créatures consumées !

Mais il est un autre amour plus à l'usage des âmes blasées et amollies, et qui usurpe communément le nom du premier ; vain, agréable, mêlé de grâce et de malice, qui s'accommode et aspire à tous les raffinements de la société, et n'est qu'un prétexte plus ingénieux pour en parcourir les jouissances, un fil de soie tremblant et souvent rompu à travers le dédale du monde. Cet amour-là n'ignore rien d'alentour ; il s'inquiète, il épie au contraire, il frissonne et flotte au vent du dehors. Il préfère se montrer à être, et faire allusion ou envie aux autres à se posséder en effet. Au lieu de ne voir en tout que des images, il n'est lui-même qu'une image mobile, qu'il étale et promène devant d'autres plus ou moins pareilles qu'il se pique d'égaler ou d'effacer. Hors des regards de la foule et des occasions agitées, ne le cherchez pas ! il désire sans but, il invente misérablement, et, se supportant mal, s'ingénie à se distraire. Sève, torrents et flamme, rajeunissement perpétuel d'une même pensée, ardeur ennoblie de sacrifice, oubli criminel même, mais éperdument consommé, il ne vous connaît pas ! Il n'est pas de l'amour.

Malheureuses sont les âmes que cette démangeaison appauvrit et ronge ! Plus malheureuses encore celles qui, faites pour concevoir l'autre amour, et sentant quelques vraies étincelles, ne les gardent pas ; qu'un éclair