Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/280

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présent, quelque chose qui ne se retrouverait plus. Je ne savais quoi encore, je ne discernais rien de cette conclusion, bien que j'y crusse fermement.

Les résultats, à vrai dire, ne se font pas hors de nous, à mon Dieu, et par l'action des seuls mouvements extérieurs, par l'opération de certaines lignes qui se croisent, qui se nouent ou dénouent fatalement ; il n'y a plus de magie enlaçante, les enchanteurs ont cessé, et l'homme, qu'a délivré votre Christ, intervient ; mais les mouvements du dehors, que trace votre doigt, servent à amener les résultats réels, les résultats vivants, qui naissent en nous du concours de votre Grâce et de notre désir ; ils les préparent, les provoquent et les hâtent, les expriment souvent à l'avance et les signifient. Vous nous offrez parfois, Seigneur, quand vous le daignez faire, l'intention et le canevas dessiné de la trame, comme à l'apprenti du tisserand ; il faut que nous y mettions la main pour l'achever ; il faut que notre volonté dise oui ou non à votre proposition redoutable ; ou notre indifférence muette est déjà même une manière funeste de terminer. Je fus bien lent à comprendre et à agir dans le cas présent, je compris pourtant à la longue ; mais, à partir du moins de ce premier moment, le canevas céleste, le dessin suprême, l'énigme de cette rencontre emblématique entre quatre destinées resta suspendue nuit et jour à mes regards comme un objet de fatigue et de tourment, jusqu'à ce que j'y lusse le sens lumineux.

Au plus épais de la forêt humaine, par des sentiers divers et d'entre les broussailles qui dérobent tout horizon, étaient arrivés sur un même point à la fois les trois êtres rivaux, tour à tour préférés, trois blanches figures. Et je m'y trouvais aussi à l'improviste, au milieu ; on avait souri en s'abordant, on s'était parlé doucement avec négligence, sans avoir l'air de s'étonner ; mais à travers cette tranquillité de parole, un changement solennel