Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/283

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personne que j'ai revue après deux ans si indulgente et si digne se souviendra-t-elle qu'au précédent adieu ce terme de deux années avait été jeté en avant comme une limite où l'on avait espoir de se rejoindre ? Oh ! je ne l'ai pas non plus oublié.

Mais faut-il lui confesser, en me voilant le visage, que, durant cet espace, le cœur, qui aurait dû tendre sans cesse au but, n'a jamais su s'y diriger ; que des faiblesses, des désirs errants, des devoirs nouveaux, nés des fautes et incompatibles entre eux, des abîmes qu'il n'est pas donné à l'innocence de soupçonner, ont fait de ma vie un orage, un conflit, un renversement presque perpétuel ; que j'ai troublé de mon trouble et offensé plusieurs autour de moi ; qu'à l'heure qu'il est, j'ai plus à réparer que je ne puis ; que tout bonheur régulier m'est devenu impossible, inespérable ; que je n'aurais d'ailleurs à offrir qu'un amas de regrets, d'imperfections et de défaites, à celle qui ne saurait posséder trop d'affection unique et de chaste empire. Oh ! qu'elle me pardonne, qu'elle m'oublie ! qu'elle me laisse croire à moins de souffrance en elle à mon sujet, que le temps n'en pourra guérir ; et qu'elle ne me méprise pas cependant comme ingrat ! Une pensée invisible, un témoin silencieux la suivra toujours de loin dans la vie et saisira chaque mouvement d'elle avec transe. Une prière, toutes les fois que je prierai, montera pour elle dans mes nuits :

Mon Dieu, m'écrierai-je, faites qu'elle soit heureuse et revenue de moi ; que la blessure, dont j'ai pu être cause, n'ait servi qu'à enfoncer plus avant dans ce cœur rare les semences de votre sagesse et de votre amour ! Faites qu'elle obtienne un peu plus tard tout le lot ici-bas, auquel, sans ma faute, elle aurait eu droit de prétendre ; faites qu'elle croie encore au bonheur sur cette terre, et qu'elle s'y confie ! - Voilà ce que je dirai au Ciel pour cette noble offensée ; et si ma vie