Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/284

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se rassied et s'épure, si je parviens à réparer quelque chose autour de moi, dans tout ce que je ferai jamais de bien, qu'elle le sache ! son souvenir après Dieu sera pour beaucoup. ” - Je laissai cette lettre et ne retournai plus ; je n'eus aucune réponse, et je n'en attendais pas. Une seule fois, la semaine d'après, je rencontrai ou crus rencontrer mademoiselle Amélie. C'était à la brune ; je traversais un massif des Tuileries, rêveur, le front incliné aux pensées funèbres parmi ces troncs noirs et dépouillés. Plusieurs dames venaient dans le sens opposé et me croisèrent ; elles étaient passées, avant que j'eusse eu le temps de les remettre et de les saluer. Etait-ce bien elle !

M'aura-t-elle reconnu ? m'aura-t-elle vu, en se retournant, la saluer trop tard ? Ainsi finissent tant de liaisons humaines, et des plus chères, dans l'éloignement, dans l'ombre, avec l'incertitude d'un dernier adieu ? - Je ne l'ai plus revue depuis ce soir-là, mon ami ; mais nous reparlerons d'elle encore.

Quatre jours après le départ de madame de Couaën, le courrier qui l'avait conduite arriva chez moi avec un petit paquet à mon adresse, qu'elle lui avait expressément confié. J'ouvris en tremblant : c'était un portrait en médaillon de sa mère, dans lequel une mèche de cheveux noirs avait été glissée ; je devinai les cheveux d'Arthur. Le courrier que je questionnai s'étendait en récits sur l'ange de douceur ; le voyage s'était passé sans qu'elle eût l'air de trop souffrir. Pas de lettre d'ailleurs ; des reliques de sa mère et de son enfant, de l'innocent et de la sainte ravis, ce qu'elle avait de plus éternel et de plus pleuré, n'était-ce pas d'elle à moi en ce moment tout un langage sans parole, inépuisable et permis, et le seul fidèle ?