Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/295

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mon ami, la vérité de ces observations amères. Vous-même, hélas ! sans doute, vous en faites partie, vous y pourriez fournir matière autant que moi. Oh ! du moins, si, comme il m'a semblé quelquefois le comprendre en certaines obscurités de vos paroles, vous avez, hors de ce pêle-mêle d'égarements, quelque liaison meilleure et préférée, si le cœur d'un être rare, un cœur ému du génie de l'amour, a défailli, s'est voilé, a redoublé de tremblement ou de lumière à cause de vous, à mon ami, ne vous effrayez pas de moi, je tâcherai de mesurer le conseil à vos circonstances, et sans capitulation devant Dieu, de vous avertir d'un sentier de retour. Je vous dirai :

Faites-vous d'abord de ce cœur aimé un asile contre les plaisirs épars qui endurcissent, contre les poursuites mondaines qui dissipent et dessèchent. Je ne suis pas de ceux, vous le savez, qui retrancheraient toute Béatrix de devant les pas du pèlerin mortel. Mais souvenez-vous mon ami, de ne jamais abuser du cœur qui se serait donné à vous, de ne faire de ce culte d'une créature choisie qu'une forme translucide et plus saisissable du divin Amour. Si quelque soir de Vendredi-Saint, dans une église, à la grille du Tombeau qu'on adore, vous vous trouvez par hasard à genoux non loin d'elle, si, après le premier regard échangé, vous vous abstenez ensuite de tout regard nouveau, par piété pour le Sépulcre redoutable, oh ! comme vous sentirez alors que vous ne l'avez jamais mieux aimée qu'en ces sublimes moments ! De réels obstacles seraient-ils entre vous, mon ami ? acceptez-les, bénissez-les ; aimez l'absence ! Fixez le rendez-vous habituel en la pensée de Dieu, c'est le lieu naturel des âmes. Communiquez sans fin dans un même esprit de grâce, chacun sous une aile du même Ange. Si elle était morte déjà, intercédez pour elle, et à la fois priez-la d'intercéder pour vous ; la prière alors est celle-ci : Mon Dieu, si elle a besoin de secours, faites que je lui