Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/357

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Je vous ai tracé l'aspect général et heureux, mon ami, l'ordonnance et la régularité. Au fond l'on aurait trouvé peut-être moins de bonheur qu'il ne semblait ; on aurait découvert des âmes tristes, saignantes et troublées, luttant contre elles-mêmes, contre des penchants ou des malheurs, des âmes tachées aussi, - assez peu, pourtant, je le crois.

J'étais une des plus mûres et des plus atteintes, le plus brisé sans doute ; je me le disais avec une sorte de satisfaction non pas d'orgueil, mais de charité, en voyant toutes ces jeunes piétés épanouies. Mais qui sait si tel autre n'était pas aussi avancé que moi dans la connaissance fatale, et s'il ne se taisait pas comme moi ?

J'en pus discerner au moins un entre tous qui souffrait profondément et qui, un jour de promenade, laissa échapper en mon sein son secret. C'était un jeune homme qu'avait élevé avec amour et gâté, comme on dit, une mère bonne, mais inégale d'humeur et violente. Ces violences de la mère avaient développé dans cette jeune nature des colères plus sérieuses qu'il n'arrive d'ordinaire chez les enfants, et de fréquents désirs de mort. Entre ces deux êtres si attachés d'entrailles l'un à l'autre, il s'était passé de bonne heure d'affreuses scènes. L'enfant grandissant, ces scènes, plus rares, il est vrai, avaient pris aussi un caractère plus coupable de colère, et par moments impie. Les belles années et l'adolescence de cette jeune âme en avaient été flétries comme d'une ombre envenimée. Il s'était réfugié dans la résolution de ne se marier jamais, de peur d'engendrer des fils qu'il trouvât violents envers lui comme il se reprochait de l'avoir été lui-même contre sa mère.

Cette mère avait gémi beaucoup, sans trop oser s'en plaindre, de la résolution de son fils. En mourant peu après, elle lui avait tout pardonné : mais lui, il ne s'était point pardonné également, et, entré dans ce séminaire, il s'efforçait de consacrer son célibat à celui seul