Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/358

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qui n'engendre ni colère ni ingratitude. J'avais contracté une liaison, sinon intime, du moins assez familière, avec ce jeune homme mélancolique. Je fréquentais aussi deux ou trois Irlandais, par un sentiment d'attrait vers leur nation plus encore que par goût de leur personne. Je parlais anglais avec eux, comme j'en avais obtenu la permission, et j'ai dû à leur compagnie d'alors l'entretien continué d'une langue qui m'est devenue si nécessaire.

Quant aux doutes, aux luttes d'intelligence en présence des vérités enseignées, j'en eus peu à soutenir, mon ami :

Ce que j'avais à combattre plutôt et à réprimer, c'était une sorte de rêverie agréable, un abandon trop complaisant, un esprit de semi-martinisme trop amoureux des routes non tracées ; j'en triomphais de mon mieux pour m'enfermer dans la lettre transmise et pour suivre pas à pas la procession du fidèle.

Mais je ne vous parlerai pas davantage de ces trois années, mon ami ; ce que je voulais surtout vous dire des amollissantes passions et de l'amour des plaisirs est épuisé.

Franchissant donc cet intervalle d'une monotonie heureuse, je vous transporterai à ce qui achève de clore ici-bas les événements douloureux sur lesquels vous restez suspendu. Aussi bien le terme du voyage approche. Tandis que je sondais avec vous mes anciennes profondeurs, le vaisseau où je suis labourait, effleurait nuit et jour bien des mers. En vain les vents le repoussaient maintes fois, et, par leur contrariété même, donnaient loisir à mes récits. Voilà que sa célérité l'emporte. La grise latitude de Terre-Neuve se fait en plein sentir. Les oiseaux des continents prochains apparaissent déjà ; on a vu voler vers l'Ouest les premiers des vautours qui annoncent les terres. Avant cinq ou six jours, à jeune ami, confident trop cher qui avez fait faiblir et se répandre le cœur du confesseur,