Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/381

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espèces de hurlements lugubres et sourds, comme d'une mère qui se roulerait sur le corps sans vie d'un enfant. J'entrais il était la face contre le lit, sur l'objet qu'il tenait embrassé ; le cercueil qu'il avait fait apporter restait ouvert auprès, sans qu'il pût se décider à y déposer ce qui avait été le plus tendre de sa chair. Ses cris cessèrent en me voyant ; il ignorait peut-être en avoir poussé de si lamentables et avoir été entendu.

— “ Sachons, lui dis-je, nous séparer des dépouilles corruptibles qui ne sont pas l'âme que nous pleurons ! ”

— Et prenant avec précaution le corps sous les bras, comme on fait pour une personne malade qu'on craint de heurter, comme les saintes femmes firent pour Jésus, je l'engageai à prendre de même le milieu du corps et les pieds ; il suivit ce que j'indiquais, et le fardeau ainsi déposé doucement dans le cercueil, je dis :

“Passons-nous de mains étrangères. ” Et le couvercle étant mis, je plaçai les clous de mon côté et lui ceux du sien, car il avait déjà apprêté lui-même tous les instruments, et, de la sorte, nous rimes ensemble ce qu'il avait résolu d'achever seul.

L'enterrement eut lieu dans la matinée ; ce fut le recteur qui célébra le service. J'avais dit une basse messe auparavant, toute pour l'âme de la décédée. Durant le service, le marquis dominait les assistants de la hauteur de sa tête vénérée, seul au banc le plus proche du chœur, debout contre le marbre de son fils. Le convoi se mit en marche à partir de l'église vers le château et la montagne, côtoyant le derrière des jardins, le canal et les abords du moulin à eau, les lieux les plus préférés d'autrefois, traversant le ruisseau ferrugineux, et prenant la haute allée, bien rude alors sous la chaleur du jour. Le bruit de l'arrivée et de la mort de madame de Couaën n'avait pas encore eu le temps de se répandre ; il n'était donc venu que les paysans du village et des prochains hameaux, des