Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/382

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femmes en assez grand nombre, quelques jeunes filles. Le marquis voulut en être jusqu'au bout ; sa fille était restée au château. Je montais près de lui la montagne, en surplis, l'aidant parfois de mon bras, car la montée était pénible à cette heure ; le soleil, à travers l'ombre inégale, frappait sur nos têtes nues ; les porteurs du cercueil gravissaient lentement et haletaient devant nous. O soleil ! pesez, sur nous deux du moins, pesez plus cuisant encore ; cailloux, faites-vous plus tranchants à nos pieds ! C'est là que nous montions la dernière fois, il y a sept années, moi avec un éclair suspect et un chatouillement adultère, lui en proie aux ambitieuses âcretés et aux jalousies de la gloire. Oh ! que l'un et l'autre, qui suivons ce corps, nous soyons rompus chacun dans notre plaie aujourd'hui ! qu'il s'en revienne autant guéri que moi, désormais, par la même grâce ! Mais, soleil, vous n'êtes pas encore assez pesant sur nos têtes ; montée, vous n'êtes pas assez rude ; ni vous, cailloux, assez aigus à nos pieds ; car il faut que notre sueur découle aujourd'hui comme du sang, il faut qu'elle pleuve le long des vieilles traces jusqu'à les féconder comme des sillons !

Arrivés au sommet, le plus grand spectacle et, depuis tant de temps, inaccoutumé, s'ouvrit à nous, une bruyère parfumée et fleurie, bourdonnant de mille bruits dans la chaleur, un ciel immense et pur encadrant une mer brillante, et tranchant net sur le noir des rochers anfractueux qu'il continuait comme une bordure glorieuse. Tout jusqu'alors à Couaën, autant que j'avais eu attention de le remarquer, m'avait paru plus petit, plus abrégé qu'auparavant ; ici seulement je retrouvais la même éternelle grandeur. Ainsi, pensai-je, cette montée d'où nous sortons ressemble à la vie ; au-delà et au sommet, voilà ce que découvre l'âme. Mais l'âme qui découvre ces choses en Dieu dès cette vie, doit marcher encore, comme nous faisons, sous la fatigue