Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/397

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loi de ce mouvement est toujours et de toute nécessité fort obscure, la félicité qui doit ressortir des moyens employés reste très douteuse, et les intervalles qu'il faut franchir peuvent se prolonger et se hérisser presque à l'infini. Nous sommes tous nés dans un creux de vague ; qui sait l'horizon vrai ? qui sait la terre ? Mais au moment où j'écrivais ceci, voilà, comme pour répondre à mes doutes, que le cri de terre, s'est fait entendre. Je viens de monter sur le pont ; après les premiers sommets aperçus, une rade d'abord effacée, bientôt distincte dans sa longueur, s'est découverte aux yeux ; les points noirs ou brillants des vaisseaux émaillant cette baie immense nous sont apparus. Le plus haut mont de la rive a revêtu peu à peu sa forêt ; puis les collines inégales se sont ombragées à leur tour, et, à un certain tournant doublé, nous sommes entrés dans les eaux de New York ; à ma précédente traversée, j'avais abordé à Baltimore. O Amérique ! tes rivages sont spacieux comme les solitudes de Rome, tes horizons sont élargis comme ses horizons ; il n'y a qu'elle qu'on puisse comparer à toi pour la grandeur ! Mais tu es illimitée, et son cadre est austère ; mais, jeune, tu fourmilles en tous sens dans tes déserts d'hier, et elle est fixe ; tu t'élances en des milliers d'essaims, et l'on dirait qu'elle s'oublie en une pensée. Dans les destinées qui vont suivre et par les rôles que vous représentez, seriez-vous donc ennemies, à Reines ? N'y aura-t-il pas un jour où devront s'unir en quelque manière inconnue son immutabilité et ta vie, la certitude élevée de son calme et tes agitations inventives, l'oracle éternel et la liberté incessante, les deux grandeurs n'en faisant qu'une ici-bas, et nous rendant l'ombre animée de la Cité de Dieu ? Ou du moins, si le spectacle d'une trop magnifique union est refusé à l'infirmité du monde, du moins est-il vrai que tu contiennes,