Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/69

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manqua ce soir-là et ce que m'eût donné la prière. Je voilais j'enveloppais de mille façons ma chimère personnelle ; je la dispersais dans les vents, sur les flots ; je la confiais et la reprenais à la nature ; je ne m'immolai pas un seul instant. Le soleil était entièrement couché quand elle sortit et revint vers moi :

L'absence de l'astre laissait aux masses rembrunies du rivage et aux flots montants qui s'y brisaient leur solennité plus lugubre. Pour elle, un reste de larmes baignait ses paupières, et elle s'avançait ainsi dans toute la beauté de sa pâleur. J'étais ému vivement, et, lui prenant la main, à deux pas de l'abîme, je me mis à lui parler, plus que je n'avais encore osé faire, de ce qui devait consoler, soutenir dans les épreuves un cœur comme le sien de ce qui veillerait d'en haut sur elle, de ce qui l'environnait ici-bas et de ce qui l'aimait. Elle m'écoutait dire, avec ce regard particulier fixé à l'horizon et pour toute parole : “ Oh ! c'est si bon d'être aimé ! ” répondit-elle ; et nous nous remîmes en marche silencieux.

Notre retour fut moins long que l'aller ; une fois arrivés à la côte, nous n'eûmes plus qu'à descendre. Comme il faisait assez de jour, nous distinguâmes bientôt M. de Couaën en face sur la plate-forme du château : il nous avait reconnus et nous regardait venir, seuls êtres en mouvement dans la montagne, précédant les ombres du soir. Nous hâtions le pas en lui envoyant de loin quelques signes, elle surtout agitant par les rubans son grand chapeau détaché : plus près du logis, les arbres et un chemin tournant nous éclipsèrent. Au moment de notre entrée dans la cour, madame de Couaën la première courut légèrement à sa rencontre et prévint ses questions par quelques mots que je n'entendis pas, mais qui expliquaient l'objet de cette promenade. Il accueillit avec lenteur sa justification empressée, paraissant en jouir, immobile et souriant, un peu voûté, toute