Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/94

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celle qu’on aime : l’ivresse d’abord de se sentir mouvoir et lancer indolemment d’un essor rapide à l’encontre de la destinée ; l’orgueil naïf d’être regardé, envié, le long des villages, sur le devant des maisons, par ceux qui demeurent ; la confusion joyeuse, comme dans une fête, des actes les plus ordinaire ; de la vie ; une curiosité égale à celle de l’enfant qu’on tient entre les genoux, et qui s’écrie, et dont on partage l’allégresse tout en affectant l’insouciance ; beaucoup de côtes que l’on monte à pied par le sentier le plus court, d’un air d’habitude et avec la nouveauté de la découverte ; des conversations infinies, près de la glace baissée, sous toutes les lueurs du ciel, mais qui redoublent quand la lune levée idéalise le paysage et que le sommeil ne vient pas; - puis, quand le sommeil est venu, le silence dont jouit celui qui veille ; les fantaisies qu’il attache aux arbres qui passent ; une légère idée de péril qu’il caresse ; mille gênes délicieuses, ignorées, qu’il s’impose, et qu’interrompent bientôt les gais accidents du souper et de la couchée. Toute cette féerie variée de la route alla expirer, le soir du cinquième ou sixième jour, dans la fatigue, la brume et le tumulte ; nous étions au faubourg de Paris.

Notre descente se fit à deux pas du Val-de-Grâce, en ce même cul-de-sac des Feuillantines dont vous m’avez plus d’une fois entretenu et que l’enfance d’un de vos illustres amis vous a rendu cher. Que de souvenirs, à votre insu, vous suscitiez en moi, quand vous prononciez le nom de ce lieu, en croyant me l’apprendre ! Madame de Cursy, tante de M. de Couaën, ancienne supérieure d’un couvent à Rennes, vivait là en communauté avec quelques religieuses de son âge : elle nous attendait et nous reçut dans sa maison. M. de Couaën avait cru possible d’accepter son hospitalité, pour cette fois, sans la compromettre. C’était une personne de vraie dévotion, d’une soixantaine d’années approchant,