Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/95

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petite de taille, ridée, jaunie, macérée de visage, mais avec je ne sais quel éclair de l'aurore inaltérable ; une de ces créatures dont la chair contrite s'est faite de bonne heure à l'image du Crucifié, et qu'un reflet du glorieux suaire illumine au front dans l'ombre comme une des saintes femmes au Sépulcre. Heureuses les âmes qui passent ici-bas de la sorte sous un rayon voilé, et chez qui l'amoureux sourire intérieur anime toujours et ne dissipe jamais le perpétuel nuage ! Sa figure avait bien quelque chose du tour altier de son neveu, mais corrigé par une douceur de chaque moment, et la noblesse subsistante de ses manières se confondait avec son humilité de servante de Dieu pour familiariser tout d'abord et mettre à l'aise en sa présence. Elle connaissait déjà madame de Couaën pour l'avoir reçue dans deux voyages précédents ; mais elle n'avait pas vu encore les enfants. Ils la goûtèrent au premier aspect, et, à notre exemple, l'appelèrent Mère. Je fus accueilli comme de la famille. Un souper abondant nous répara, et, comme on le prolongeait insensiblement en récits, elle se chargea elle-même de nous rappeler notre fatigue. A peine nous avait-elle conduits dans nos chambres à nos lits protégés de Christs et de buis bénits que je sentis le profond silence de cette maison se détacher dans le bruissement lointain de la grande ville, et je rêvai pour la première fois au bord de cet autre Océan.

Le lendemain dimanche, par un beau soleil d'onze heures et la messe entendue à l'église Saint-Jacques-du-Haut-Pas (car celle du petit couvent s'était dite avant notre lever), nous nous dirigeâmes vers le brillant Paris dont je n'avais saisi la veille que le murmure nocturne. Oh ! quand les ponts furent traversés et que les Tuileries repeuplées nous apparurent ; quand dans cette cour trop étroite, je vis reluire et bondir généraux, aides de camp, garde consulaire, et les jeunes femmes