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BUISINE, subst. Trompette.

Nous commencerons cet article par une remarque générale qui ne sera peut-être point inutile à nos Etymologistes. J’observerai que le renouvellement des Lettres au XVe siecle a fait naître une révolution dans notre orthographe par rapport à certains mots : l’érudition prenoit faveur ; on la répandit par-tout, sans en excepter même les noms de Baptême que l’on donne aux enfants : on fit choix, par préférence, de ceux qui avoient rapport aux Héros de l’Antiquité Grecque & Romaine : Timoléon de Cossé & Marc-Antoine Muret en sont des exemples. Nos Littérateurs voulurent aussi retrouver les mots de notre Langue dans ceux de la Latinité ; & non contents des mots François que nous ne pouvons nous dispenser de puiser dans cette source, ils en tirerent, comme par force, quelques autres dont la formation ou la composition se pouvoit tirer de notre propre Langue : ils allerent plus loin ; & pour justifier ces fausses étymologies, ils changerent l’orthographe de ces mots, afin de les rapprocher de cette origine prétendue : on falsifioit les titres de notre Langue pour lui donner des titres d’une noblesse plus ancienne. Le mot Buisine m’a donné l’idée de faire cette remarque : je ne le trouve jamais écrit que Buisine par nos Auteurs avant le milieu ou la fin du XVe siecle ; mais depuis cette époque, je le trouve constamment écrit Buccine. Il ne faut pas chercher d’autre raison de ce changement, que l’envie de faire venir ce mot du Latin Buccina. On va voir, si je ne me trompe, que le mot de Buis l’avoit formé ; & que l’orthographe Buisine étoit celle qu’il falloit lui conserver. Nous croyons pouvoir assurer que c’est là la véritable étymologie de ce mot. Les autres mots qui signifient Trompette, nous fournissent la preuve de cette assertion : tous sont relatifs à la matiere de l’instrument. Cornet, trompette de corne. Graille ou Graillon, trompette de grais ou de terre. Araine, trompette d’airain ou de cuivre. Oliphant, trompette d’yvoire ou de dent d’éléphant.

Si dans nos anciens Auteurs ces mots sont pris indistinctement pour toute espece de trompette, c’est qu’on étoit dans l’usage de confondre tous les mots comme synonimes, pour peu qu’on apperçût de rapport entre les choses qu’ils signifioient ; mais la formation radicale des mots ne permet pas, ce me semble, de douter que dans l’origine ils n’ayent eu des acceptions différentes & très-distinctes. Ces mots vont encore me fournir une autre observation propre à caractériser le génie des hommes à qui notre Langue doit sa naissance & ses progrès.

Les Joueurs d’Instruments dévoués aux plaisirs des Cours, menoient d’ordinaire une vie très-licentieuse ; ils s’étaient étrangement décriés par le trafic & par l’abus qu’ils faisoient de leurs talents. L’habitude où l’on étoit


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