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Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/708

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premiers aux mains, à l’embouchure même de l’Océan ; mais leurs vaisseaux eurent moins à lutter entre eux que contre la mer ; et comme si l’Océan eût voulu châtier la fureur de nos discordes civiles, il détruisit l’une et l’autre flotte par un naufrage. Quel horrible spectacle que cette lutte simultanée des flots, des orages, des hommes, des vaisseaux et de leurs agrès flottants ! Ajoutez à cela ce que les lieux avaient d’effrayant : d’un côté les rivages de l’Espagne, de l’autre ceux de la Mauritanie, se tournant l’une vers l’autre pour s’unir, la mer intérieure et la mer extérieure[1], les colonnes d’Hercule dominant les flots, partout enfin les fureurs de la guerre jointes à celles de la tempête.

Bientôt après, de part et d’autre, on courut assiéger les villes ; et ces malheureuses cités furent cruellement punies, par les chefs des deux partis, de leur alliance avec les Romains.

Munda[2] fut la dernière de toutes les batailles de César. Là son bonheur accoutumé l’abandonna, et le combat, longtemps douteux, prit un aspect alarmant ; la fortune, incertaine, semblait en quelque sorte délibérer. César lui-même, avant l’action, avait paru triste, contre sa coutume, soit qu’il fît un retour sur la fragilité des choses humaines, soit qu’il se défiât d’une prospérité trop prolongée, ou qu’il craignît, après avoir commencé comme Pompée, de finir comme lui. Au milieu même de la mêlée, après des efforts longtemps égaux de part et d’autre, tout à coup, ce que personne ne se souvenait d’avoir vu, à toute l’ardeur du combat et du carnage succéda, comme s’il y eût eu concert entre les deux armées, le plus profond silence ; tous éprouvaient le même sentiment. Enfin (et ce prodige était nouveau pour les yeux de César), bien qu’éprouvé par quatorze années de combats, le corps des vétérans recula ; et s’il ne fuyait pas encore, il était cependant aisé de reconnaître que la honte le retenait plutôt que le courage. César alors renvoie son cheval, et court comme un furieux à la première ligne. Il saisit et rassure les fuyards, et vole de rang en rang, pour animer ses soldats des yeux, du geste et de la voix. On dit que, dans ce moment de trouble, il délibéra s’il mettrait fin à ses jours, et qu’on put lire sur son visage la pensée de mort qui le préoccupait. Dans ce moment couraient à travers les lignes cinq cohortes ennemies, que Labiénus avait envoyées au secours de leur camp qui était en danger ; ce mouvement avait l’apparence d’une fuite. César, soit qu’il crût qu’elles fuyaient en effet, soit qu’en chef habile il feignît de le penser, saisit l’occasion, les charge comme des troupes en déroute, relève le courage des siens, et abat celui de l’ennemi. Ses soldats, se croyant vainqueurs, mettent plus d’impétuosité dans la poursuite ; ceux de Pompée, persuadés que leurs compagnons sont en fuite, se mettent à fuir eux-mêmes. Quels ne furent pas le carnage des vaincus, la fureur et l’acharnement des vainqueurs ! On peut en juger par un seul trait : ceux qui se sauvèrent de la mêlée, s’étant enfermés dans Munda, et César en ayant aussitôt ordonné le siège, on forma un retranchement d’un amas de cadavres, joints ensemble par les dards et les javelots qui les avaient traversés (45) : action révoltante, même parmi les Barbares ! Les fils de Pompée désespérèrent enfin de la victoire.

  1. La Méditerranée et l’Atlantique.
  2. Ville qui porte encore le même nom, dans le royaume de Grenade.