Page:Sand – Le Lis du Japon, 1866.pdf/27

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messes de l’avenir, les triomphes de l’art, les espérances, les illusions, tout ! Il est trop tard pour combattre la mal, cette journée le rend incurable. Je n’ai plus qu’à chérir ma blessure, à me laisser consumer par une passion terrible, et à y succomber sans lâcheté. Que l’on me repousse et me dédaigne, que l’on m’abandonne et me maudisse, je garderai, je veux garder pur et sacré ce feu qui m’embrase et me tue ! (Il tombe assis, la tête dans ses mains.)

LA MARQUISE, bas, à Marcel.

Son exaltation m’inquiète… Pauvre cœur troublé ! il a l’air si bon et si vrai ! Consolez-le, monsieur Marcel, dites-lui…

MARCEL.

Que lui dirai-je ?

LA MARQUISE.

Ah ! vraiment, je ne sais !… Dites-lui que sa douleur est digne de pitié… (Haut.) Mon Dieu ! que voulez-vous qu’on dise ? que pourrait-on conseiller à celle qui est aimée ainsi ? est-elle libre de tout contrôle ? n’a-t-elle personne à ménager ? et si, comme il le dit, elle est sans tache, ne doit-elle pas être jalouse de mériter le respect qui l’entoure ? Que penserait-on d’elle si elle encourageait les espérances d’un homme qu’elle ne connaît pas ? et, pour le connaître, comment voulez-vous qu’elle s’y prenne ? L’admettra-t-elle dans son intimité, elle qui n’y a jamais admis aucun autre ? Elle doit le plaindre, sans doute… et peut-être qu’elle le plaint beaucoup, car elle doit être bonne ; il ne l’aimerait pas vaniteuse, insolente ou prude… Mais je crois qu’elle fera l’effort de le décourager, dût-elle… (À part.) Ah ! cela est cruel ! et mon cœur est ici d’une faiblesse que je ne puis plus cacher ! (Elle sort en cachant son visage dans son mouchoir.)



Scène VII.

JULIEN, MARCEL.
MARCEL.

Réveille-toi, essuie tes yeux. La partie est gagnée.