Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, 1853.djvu/309

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
KOURROGLOU.



Kourroglou s’approcha d’Ayvaz. (Page 9.)

« Personne sur la terre ne connaîtrait mes hauts faits sans mes jolies chansons. Oui, tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour mes amis, et la passion d’un gain égoïste ne s’est jamais élevée dans mon âme. »

« Mais écoutez maintenant, s’écrie le rapsode, l’histoire de la princesse Nighara, fille du sultan de Constantinople. »

La belle princesse a entendu parler de Kourroglou, et elle s’est éprise de lui sur sa brillante réputation. Un jour qu’elle était sortie pour se promener dans les bazars de la ville, et qu’au son des tambours, tous les promeneurs et tous les marchands s’enfuyaient pour ne pas payer de leur tête le bonheur de l’apercevoir, un certain Belly-Ahmed (c’est-à-dire le fameux Ahmed), qui se trouvait là, se dit en lui-même : « Ton nom est Belly-Ahmed, et tu ne verrais pas cette belle princesse ? » Il la vit, en effet, et faillit le payer cher ; car la princesse, qui n’entendait pas raillerie, le foula aux pieds, et l’eût fait étrangler par ses eunuques, s’il n’eût eu l’heureuse inspiration de lui dire, tout en la suppliant, qu’il était natif d’Erzeroum. Aussitôt la princesse lui demande s’il n’a point vu dans ces contrées un certain Kourroglou, et Belly-Ahmed, qui n’est point sot, se hâte de se donner pour un de ses serviteurs. Alors la princesse lui jette de l’or à poignées, et lui remet, pour son maître, son propre portrait avec une lettre ainsi conçue :

« Ô toi qui es appelé Kourroglou ! la gloire de ton nom a jeté un charme sur nos contrées. Je me nomme Nighara, fille du sultan Murad. Je te dis, afin que tu l’apprennes, si tu ne le sais pas encore, que j’éprouve un ardent désir de te voir. Si tu as du courage, viens à Istambul, et enlève-moi. »

Belly-Ahmed part pour Chamly-Bill, et se présente aux sentinelles qui s’emparent de lui et le conduisent à Kourroglou. Celui-ci lui trouve bonne mine, le fait asseoir, et envoie son bel échanson Ayvaz lui chercher du vin. Alors recommence avec Ahmed un dialogue dans la forme de celui qu’on a vu au chapitre précédent, entre Kourroglou et Khoya-Yakub. « As-tu vu un plus beau cheval que mon Kyrat ? — Je n’en ai pas vu. — As-tu vu un plus beau guerrier que mon Ayvaz ? — Je n’en ai pas vu. — As-tu vu une plus belle fête, etc. — Mais, ô Kourroglou ! j’ai vu, à Istambul, la princesse Nighara ! » Kourroglou dresse l’oreille, lit le billet, regarde la miniature, fait