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VALENTINE.

l’homme était son rival, il avait été assassiné dans le jardin du meurtrier ; celui-ci pouvait se défendre en assurant qu’il l’avait pris pour un voleur. Aux yeux de la loi il devait être acquitté ; aux yeux du magistrat auquel il confiait avec franchise la passion qui l’avait fait agir et le remords qui le déchirait, il trouva grâce. Il fût résulté des débats un horrible scandale pour la famille Lhéry, la plus nombreuse et la plus estimée du département. Il n’y eut point de poursuites contre Pierre Blutty.



Alors il vit distinctement Valentine à genoux. (Page 77.)

On apporta le cadavre dans la salle.

Valentine recueillit encore un sourire, une parole d’amour et un regard vers le ciel. Il mourut sur son sein. Alors elle fut entraînée dans sa chambre par Lhéry, tandis que madame Lhéry emmenait de son côté Athénaïs évanouie.

Louise, pâle, froide, et conservant toute sa raison, toutes ses facultés pour souffrir, resta seule auprès du cadavre.

Au bout d’une heure Lhéry vint la rejoindre.

— Votre sœur est bien mal, lui dit le vieillard consterné. Vous devriez aller la secourir. Je remplirai, moi, le triste devoir de rester ici.

Louise ne répondit rien, et entra dans la chambre de Valentine.

Lhéry l’avait déposée sur son lit. Elle avait la face verdâre, ses yeux rouges et ardents ne versaient pas de larmes. Ses mains étaient raidies autour de son cou ; une sorte de râle convulsif s’exhalait de sa poitrine. Louise, pâle aussi, mais calme en apparence, prit un flambeau et se pencha vers sa sœur.

Quand ces deux femmes se regardèrent, il y eut entre elles comme un magnétisme horrible. Le visage de Louise exprimait un mépris féroce, une haine glaciale ; celui de Valentine, contracté par la terreur, cherchait vainement à fuir ce terrible examen, cette vengeresse apparition.

— Ainsi, dit Louise en passant sa main furieuse dans les cheveux épars de Valentine, comme si elle eût voulu les arracher, c’est vous qui l’avez tué !

— Oui, c’est moi ! moi ! moi ! bégaya Valentine hébétée.

— Cela devait arriver, dit Louise. Il l’a voulu ; il s’est attaché à votre destinée, et vous l’avez perdu ! Eh bien ! achevez votre tâche, prenez aussi ma vie ; car ma vie, c’était la sienne, et moi je ne lui survivrai pas ! Savez-