fatalité étrange ; je ne vois qu’elle, je ne pense qu’à elle, je n’aime qu’elle, et je ne crois pas pouvoir aimer jamais une autre qu’elle. »
On rappela. Le directeur le saisit dans l’escalier, lui toucha le cœur en riant et s’écria :
— Tranquille tout de bon ? C’est merveilleux ! c’est admirable !
— Je le crois bien, pensa l’artiste en continuant à descendre, c’est un cœur mort !
Cette idée remua et ranima tellement ce qu’il croyait être le dernier souffle de sa vie morale, qu’il entra en scène sans se rappeler un mot, une note de ce qu’il allait dire et chanter. Bien lui prit de savoir si bien son rôle et sa partie, que les sons et les paroles sortaient de lui comme d’un automate. Les premiers applaudissements le réveillèrent. Sa beauté, son timbre admirable, la grâce et la noblesse de toute sa personne, qui donnaient naturellement l’apparence de l’art consommé à tous ses mouvements, ravirent le public avant qu’il eût fait preuve de talent ou de volonté.
— Allons, se dit-il avec un amer sourire, mes amis sont là et souffrent de me voir si tiède ! Aidons-les à me soutenir. Et puis on me paye cher ; il faut être consciencieux.
Il fit de son mieux, et ce fut si bien, que, dès ses premières scènes, son succès fut incontestable et de bon aloi.