Page:Sand - Antonia.djvu/221

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avec ce sentiment particulier qui fait de Watteau un peintre sans mièvrerie, un Italien réaliste et bien vivant dans un cadre de convention et dans une époque d’afféterie. Il y avait un coin retiré où, sur le fond noir des massifs, un grand vase de marbre blanc, haut monté sur un piédestal enguirlandé de lierre, se détachait vaguement dans la nuit comme un spectre. Des lueurs bleuâtres, insaisissables, glissaient sur le feuillage, et l’ombre des branches se dessinait sur le marbre, dont les contours s’effaçaient mollement sans que la forme du vase cessât d’être élégante et majestueuse.

C’est là que Julien, aussitôt que sa mère était couchée, allait attendre Julie, et, quand elle approchait, souriante, tranquille comme le bonheur, avec ses jupes de soie qui miroitaient dans l’ombre et ses beaux bras nus qui retenaient une draperie de satin rayé, Julien croyait voir je ne sais quelle muse moderne présidant à sa destinée, lui apportant les promesses de l’avenir avec toutes les grâces et toutes les séductions de la vie présente et réelle.

Le présent, il fallait bien le savourer sans trop songer au lendemain, car l’incertitude des événements s’opposait aux projets sous une forme déterminée. On ne savait pas encore si l’on vivrait ainsi, abandonnés du monde, oubliés et tranquilles dans ce jardin qui était devenu pour l’amour un paradis terrestre, ou bien si, chassés même du pavillon par des créanciers inexorables, on n’irait pas chercher dans quelque