Page:Sand - Cadio.djvu/259

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en se tenant retranché dans sa province, soit de la quitter pour se jeter dans les aventures de la chouannerie, ce qui reste de ma famille est condamné à tomber dans nos mains un jour ou l’autre. Hoche fera peut-être, s’il vient ici, comme on l’espère, le miracle de ramener ces esprits avides d’émotions et dévorés d’orgueil ; mais, s’il échoue, si cette paix armée qui permet aux rebelles de se préparer à de nouvelles luttes aboutit encore à une guerre cruelle, il faudra donc encore porter le fer et le feu dans ces malheureux pays qui sont pour moi le cœur de la patrie, et où je n’ai jamais donné un coup de sabre sans qu’il me semblât répandre mon propre sang ! J’obéirai à mon devoir demain comme hier, mais je ne veux pas d’autre récompense que le mérite d’avoir vaincu les révoltes de mon propre cœur. Cela se réglera entre Dieu et moi. Les hommes ne pourraient pas apprécier ce qu’il m’en a coûté et m’adjuger un prix proportionné à mon sacrifice !

MARIE, émue. Bien, bien ! Alors, il faut partir et rejoindre Kléber aux bords du Rhin, puisque votre colonel en a reçu l’ordre… L’a-t-il déjà reçu ?

HENRI. Marie !… nous partons demain ! une partie de mon régiment reste ici, et je pourrais choisir… mais… Ah ! je suis dans un grand trouble, ne le voyez-vous pas ? Vous ne voulez pas comprendre !

MARIE, troublée aussi. Je crois voir que l’amitié vous retiendrait ici… mais, alors, je ne dois pas accepter le sacrifice de votre légitime ambition.

HENRI. Mon ambition ! je n’en ai pas d’autre que celle de pouvoir offrir à une femme aimée une existence honorable,… et je n’en suis pas là ! Qui voudrait partager ma misère ?