Page:Sand - Cadio.djvu/308

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table, à côté de son assiette. Ah ben, par exemple, v’là qu’est drôle !

HENRI, sans le regarder. Mais non, c’est très-sérieux, au contraire.

LE BRETON, posant son autre pistolet de l’autre côté de son assiette. Vous vous méfiez peut-être ?

HENRI, se retournant. C’est vous qui vous méfiez. Qu’est-ce que vous faites donc là ?

LE BRETON. Excusez-moi, ça me gêne pour manger, et j’ai encore faim.

HENRI, se rasseyant en face de lui. À votre aise ! (Il tire de sa veste deux pistolets qu’il pose en même temps à sa droite et à sa gauche sur la table.) Où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir.

LE BRETON. Bien dit ! Ainsi vous refusez d’écorcher la mauvaise bête ?

HENRI. Je ne sais pas écorcher, ça n’entre pas dans mes habitudes.

LE BRETON. Mais l’envoyer à vos juges, ça ne vous convient pas ?

HENRI. Ce sont des affaires de police qui ne font point partie de mes attributions. Si je le prends les armes à la main, ce sera différent ; mais négocier une trahison ne me convient pas, comme vous dites.

LE BRETON. Vous êtes ben délicat ! Est-ce que vous n’êtes pas ici, en habit bourgeois, pour faire de l’espionnage, comme c’est permis à la guerre ?

HENRI. Pousser en pays ennemi une reconnaissance périlleuse est le moyen qu’on cherche pour épargner la vie des hommes, en terminant le plus vite et le plus sûrement possible l’échange de meurtres et de malheurs qu’on appelle la guerre. Il faut bien faire la part du sang ; mais le devoir d’un bon soldat et d’un honnête homme est de la faire aussi petite que