Page:Sand - Cadio.djvu/327

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nos traces. À Locmariaker, j’ai vu la figure de Tirefeuille sur le port, et il doit nous avoir reconnues. Louise tombait de fatigue quand nous nous sommes réfugiées ici à l’aube du jour. Elle a dormi ; moi, j’ai veillé dans une chambre en bas, où tout à l’heure deux soldats bleus sont entrés pour demander à boire. Je les ai servis, et ils disaient : « Le colonel le Sauvières est arrivé, il est à l’auberge. » J’y suis venue vite sans avertir Louise. J’ai reconnu céans Javotte, que j’avais vue dans le temps à Puy-la-Guerche, et me voilà pour te dire : Veux-tu sauver ta cousine ? Sans toi, elle est perdue.

HENRI. Conduis-moi auprès d’elle.

LA KORIGANE. Non, on te verrait, et Saint-Gueltas n’est peut-être pas loin. Il vous surprendrait et il vous tuerait tous les deux. Louise peut venir ici, où tu as des soldats pour la défendre. Je vais la chercher.

HENRI. Oui, cours ! Non, attends ! Ceci est un piége de ta façon ! Son mari a été jaloux de moi ; toi, tu es sa maîtresse ou tu l’as été : tu l’aimes passionnément, on le sait. Tu dois haïr Louise et la trahir. C’est pour la mieux perdre que tu veux l’attirer chez moi.

LA KORIGANE. Je ne suis plus jalouse de la pauvre Louise ; le maître ne l’aime plus !

HENRI. Tu mens ! Il la poursuit, il la soupçonne, il veut la ramener chez lui ;… donc, il l’aime.

LA KORIGANE. Il veut l’empêcher de trahir sa conduite, voilà ce qu’il veut ! Madame de Roseray, son ancienne maîtresse, la belle des belles, la maudite des maudites… oh ! c’est celle-là que je hais et que je voudrais voir morte ! elle l’a repris dans ses griffes ; elle règne chez lui, elle le rend fou ! Elle m’a fait chasser, moi… moi à qui le maître devait tout !