Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/132

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distrait, froidement dépité, et de temps en temps cassait une branche ou du pied écrasait une plante, comme s’il eût dédaigné et détesté tout ce qui se trouvait sur son chemin.

— Allons, dit-il, quand nous eûmes remonté à la prairie, tu me boudes, toi aussi ? Tu es pressée de me voir au diable ?

— Est-ce que vraiment tu vas dans un enfer ? lui demandai-je en dissimulant mon inquiétude sous un air de plaisanterie.

— Oui, ma chère enfant, reprit-il d’un ton d’amertume qu’il s’efforçait en vain de rendre dégagé. Je vais coucher dans une espèce de soupente avec les rats et les puces ; j’aurai de l’encre aux doigts et du goudron sur mes habits ; je ferai des additions et des soustractions dix ou douze heures par jour. Je sais bien que M. de Malaval me fera manger à sa table, ne fût-ce que pour me condamner à écouter ses hâbleries. Et puis, le soir, pour me distraire, on me proposera une petite promenade en barque dans le port, d’un navire à l’autre. Ce sera d’une gaieté folle !… Que veux-tu ! quand on est pauvre, il faut bien manger de la vache enragée. Voilà ce que tout le monde me dit… pour me consoler !

— Tu exagères. Bonne maman te donnera toujours de l’argent.