Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/258

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val avec Michel jusqu’à dix, ou seule, à pied dans notre vaste enclos, d’où je sortais bien un peu pour passer de cette solitude à la solitude de nos ravins, plus cachés et plus déserts encore.

Je devins si studieuse et si rêveuse, que Jennie s’en alarma ; mais il fallut me laisser faire. Je ne pouvais plus vivre dans cet isolement terrible sans y développer mon intelligence avec passion. J’étudiai les langues anciennes, les sciences naturelles et la philosophie. Je lus les livres les plus sérieux, j’abordai la géométrie. Je trouvai moyen de remplir mes journées et peu à peu de ne pas les trouver assez longues pour tout ce que je voulais connaître, ou tout au moins comprendre dans la nature et dans l’humanité.

Je devins un esprit assez fort pour mon âge et pour mon sexe, ce qui ne m’empêcha pas de souffrir beaucoup du vide de mon cœur ; plus je travaillais à refouler ses aspirations, plus il reprenait ses droits dans les jours de révolte. J’arrivai à le regarder comme mon pire ennemi et à le traiter comme un coupable. Dieu sait pourtant qu’il n’avait pas cessé d’être pur, et qu’il ne revendiquait qu’une affection exclusive et sainte ; mais où la placer ? Ma raison lui répondait qu’elle n’avait pas de placement à lui offrir, et que l’amour sans but était un instinct dangereux qu’il fallait