juste en face de la maison d’Isa Carrian, et, quoique j’eusse à lui savoir mauvais gré de m’avoir rendu ma fille si chétive, je ne voulus point passer devant sa porte sans lui montrer comme je l’avais déjà amendée et sans écouter les excuses qu’elle pourrait me faire.
« J’entrai donc chez elle et je la trouvai en deuil. Elle avait perdu son mari et son petit garçon.
« — Tu viens voir le malheur, me dit-elle en m’embrassant ; me voilà seule au monde, et tu es bonne de ne pas m’en vouloir. Il n’y a pas eu de ma faute, et j’ai bien pleuré ta fille aussi ! Mais te voilà consolée, toi : tu en as déjà une seconde, et aussi belle qu’était l’ancienne, car elle ne peut guère avoir plus d’un an, et je la trouve grande pour son âge.
« Je crus qu’Isa avait perdu la raison. Quand je lui eus juré que je pensais tenir Louise dans mes bras, elle me jura que Louise était morte depuis six mois, et que je pourrais voir son extrait mortuaire et sa petite tombe. Quant à mon mari, personne ne l’avait revu au pays depuis notre départ : il m’avait menti, il m’avait donné à élever un enfant illégitime, peut-être un enfant qu’il avait eu de la pauvresse qui me l’avait apporté, et dont, au reste, Isa ni personne chez nous n’avait jamais entendu parler.