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Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 2.djvu/92

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ses bras, que j’en suis heureuse pour lui et pour toi !

Mais, en disant ces paroles du fond de mon cœur, je sentis je ne sais quel déchirement se faire en moi, comme si je perdais à la fois Jennie et Frumence. Il me sembla que j’étais seule dans la vie à tout jamais, qu’au milieu de mon désastre l’amour consolerait et dédommagerait tout le monde autour de moi, excepté moi qui n’avais su inspirer l’amour à personne et qui ne devais jamais le connaître. Tous mes besoins de cœur inassouvis, toutes mes aspirations méconnues par moi-même et cruellement refoulées, peut-être le souvenir confus du plaisir que j’avais ressenti autrefois de me croire aimée de Frumence, je ne sais quoi enfin, une souffrance violente, un regret inexprimable, une double et insurmontable jalousie m’étreignirent la poitrine, et je sentis la vie m’abandonner avec l’espérance de la vie. Je perdis la notion de tout, et, quand je revins à moi, j’étais étendue sur mon lit, les cheveux épars, les mains déchirées par mes ongles, la lèvre coupée par mes dents. Jennie, pâle et consternée, me tenait dans ses bras.

— Qu’est-ce donc, Jennie ? lui dis-je, que m’est-il arrivé ? Suis-je tombée ? suis-je morte ?

Je ne me souvenais de rien.